POESIES EN VERS ALTERNES

 

 
11.  LES ORIENTALES  (Victor HUGO : 1802 - 1885)

 

1.
Murs, ville                   
Et port
Asile
De mort
Mer Grise
Où brise
La brise
Tout dort
2.
Dans la plaine
Naît un bruit
C'est l'haleine
De la nuit
Elle brame
Comme une âme           
Qu'une flamme
Toujours suit.
3.
La voix plus haute
Semble un grelot
D'un nain qui saute
C'est le galop
Il fuit, s'élance
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot

           4.
           La rumeur s'approche
           L'écho la redit
           C'est comme la cloche  
           D'un couvent maudit
           Comme un bruit de foule
           Qui tonne et qui roule
           Et tantôt s'écroule,
           Et tantôt grandit.

5.
Dieu la voie sépulcrale
Les djinns quels bruits ils font
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond
Déjà s'éteint ma lampe
Et l'ombre de la rampe
Qui le long du mur rampe
Monte jusqu'au plafond.

  6.
  C'est l'essaim des djinns qui passe              
  Et tourbillonne en sifflant
  Leurs ifs que leur vol fracasse
  Craquent comme un pin brûlant
  Leur troupeau lourd et rapide
  Volant dans l'espace vide
  Semble un nuage livide
  Qui porte un éclair au flanc
  7.
  Ils sont tout près, tenons fermés
  Cette salle où nous les narguons
  Quel bruit dehors ! Hideuse armée
  De vampires et de dragons
  La poutre du toit descellée
  Ploie ainsi qu'une herbe mouillée
  Et la vieille porte rouillée
  Tremble à déraciner ses gonds !

8.
Cris de l'enfer ! voix qui hurle et qui pleure        
L'horrible essaim poussé par l'aquilon
Sans doute ô ciel s'abat sur ma demeure
Le mur fléchit sous le noir bataillon
La maison crie et chancelle penchée
Et l'on dirait que du sol arrachée
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée
Le vent la roule avec leur tourbillon !
9.
Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J’irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu’en vain l’ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !

10.
Ils sont passés ! leur cohorte
S'envole et fuit à leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés
L'air est plein d'un bruit de chaînes      
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes
Sous leur vol de feu pliés !
11.
De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l’on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d’une voix grêle
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d’un vieux toit
       
12.
D’étranges syllabes
Nous viennent encore :
Ainsi des arabes
Quand sonne le cor.
Un chant sur la grève
Par instants s’élève,
Et l’enfant qui rêve
Fait des rêves d’or

13.
Les djinns funèbres,                  
Fils du trépas
Dans les ténèbres
Pressent le pas
Leur essaim gronde
Ainsi profonde
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas
14.
Ce bruit vague
Qui s'endort
C'est la vague
Sur le bord
C'est la plainte                 
Presqu'éteinte
D'une sainte
Pour un mort
15.
On doute
La nuit
J'écoute
Tout fuit
Tout passe
L'espace
Efface
Le bruit

 


Victor Hugo


Charles Baudelaire

 
12.  LA MUSIQUE  (Charles Baudelaire)  

 

La musique souvent me prend comme une mer !
     Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
     Je mets à la voile
La poitrine en avant et les poumons gonflés
     Comme de la toile,
J'escalade le dos des flots amoncelés
     Que la nuit me voile ;
Je sens vibrer en moi toutes les passions
      D'un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions
      Sur l'immense gouffre
Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir                
      De mon désespoir !

( Les Fleurs du mal )

 

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