Poèmes choisis d’Alphonse de Lamartine
Mâcon 1790 - Paris 1869

 

Poète, écrivain, homme d' Etat. Empreint d'une éducation religieuse à Milly, il fit en 1811 un voyage en Italie. Il entra d'abord au service de Louis XVIII, puis représenta la France auprès du Grand Duc de Toscane. Au retour d'un voyage en Palestine, il perdit sa fille et devint l'apôtre d'un christianisme libéral et social qu'il représenta à la chambre des députés de 1833 à 1851.

Ministre des affaires étrangères en février 1848, mais le Second Empire mit fin à sa carrière en 1851. Il s'abandonna désormais à ce qu'il appelait... les travaux forcés littéraires !

 

Alphonse de Lamartine par Couture

 
5.  C'est un petit vallon...   (A. Lamartine)

 

Mon coeur lassé de tout, même de l'espérance,
N'ira plus de ses voeux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement le vallon de mon enfance
Un asile d'un jour pour attendre la mort.

 
Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée,
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée ,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.

 
Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon ;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.

 
La source de mes jours comme eux s'est écoulée
Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour.
Mais leur onde est limpide et mon âme est troublée
N'aura pas réfléchi les clartés d'un beau jour.

 
La fraîcheur de leurs lits, l'ombre qui les couronne,
M'enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux ;
Comme un enfant bercé par un chant monotone,
Mon âme s'assoupit au murmure des eaux.

 
Ah! c'est là qu'entouré d'un rempart de verdure,
D'un horizon borné qui suffit à mes yeux,
J'aime à fixer mes pas et seul dans la nature,
A n'entendre que l'onde, à ne voir que les cieux.

 
Repose-toi, mon âme en ce dernier asile,
Ainsi qu'un voyageur, qui le coeur plein d'espoir
S'assied avant d'entrer aux portes de la ville
Et respire un moment l'air embaumé du soir.

 
Comme lui, de nos pieds secouons la poussière ;
L'homme par ce chemin ne repasse jamais :
Comme lui, respirons au bout de la carrière
Ce calme avant-coureur de l'éternelle paix.

 
Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime ;
Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours ;
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et même le soleil se lève sur tes jours.

 
Suis le jour dans le ciel, suis l'ombre sur la terre,
Dans les plaines de l'air, vole avec l'Aquilon,
Avec les doux rayons de l'astre du mystère
Glisse à travers les bois, dans l'ombre du vallon.

 
Dieu pour le concevoir, a fait l'intelligence ;
Sous la nature enfin découvre son auteur !
Une voix à l'esprit parle dans son silence,
Qui n'a pas entendu cette voix dans son coeur ?

 

Un vallon des Vosges

 

6.  Le lac  (Alphonse Lamartine)

 

Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
          Jeter l'ancre d'un seul jour ?

 
O Lac ! l'année à peine a fini sa carrière
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir
Regarde je viens seul m'asseoir sur cette pierre
          Où tu la vis s'asseoir !

 
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
          Sur ses pieds adorés.

 
Un soir t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
          Tes flots harmonieux.

 
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos :
Le flot attentif et la voix qui m'est chère
          Laissa tomber ces mots :

 
O temps ! suspends ton vol, et vous heures propices !  
          Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
          Des plus beaux de nos jours !

 
Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
          Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent,
          Oubliez les heureux.

 
Mais je demande en vain quelques moments encore,
          Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : sois plus lente et l'aurore
          Va dissiper la nuit

 
" Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
          Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
          Il coule, et nous passons ! "

 
Temps jaloux, se peut' il que ces moments d'ivresse
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
          Que les jours de malheur ?

 
Eternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
          Que vous nous ravissez ?

 
O lac ! rochers muets ! grottes ! forêts obscures !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez belle nature,
          Au moins le souvenir !

 
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
          Tout dise : Ils ont aimé !

 (méditations poétiques)

 

 

7. Un village... autrefois  (Alphonse Lamartine)

 

1.
Je sais sur la colline
Une blanche maison,
Un rocher la domine
Un buisson d'aubépine
Est tout son horizon

 
2.
Là, jamais ne s'élève
Bruit qui fasse penser
Jusqu'à ce qu'il s'achève
On peut mener son rêve
Et le recommencer

 
3.
Le clocher du village
Surmonte ce séjour
Sa voix comme un hommage                   
Monte au premier nuage
Que clore le jour !

 
4.
Aux sons que l'écho roule
Le long des églantiers,
Vous voyez l'humble foule
Qui serpente et s'écoule
Dans les pieux sentiers :

 
5.
C'est la pauvre orpheline
Pour qui le jour est court,
Qui déroule et termine
Pendant qu'elle chemine
Son fuseau déjà lourd ;

 
6.
C'est l'aveugle que guide
Le mur accoutumé
Le mendiant timide
Et dont la main dévide
Son rosaire enfumé :

 
7.
C'est l'enfant qui caresse
En passant chaque fleur ;
Le vieillard qui se presse
L'enfance et la vieillesse
Sont amis du Seigneur !

 
8.
Ou quelque pauvre veuve
Aux longs rayons du soir
Sur une pierre neuve,
Signe de son épreuve,
S'agenouiller, s'asseoir

 
9.
Plus d'une fleur nuance
Ce voile du sommeil ;
Là tout fut innocence
Là tout parle d'espérance
Et appelle le réveil
10.
Paix et mélancolie
Veillent, là près des morts,
Et l'âme recueillie
Des vagues de la vie
Croit y toucher les bords.

 (Harmonies poétiques et religieuses.)

 

Un petit village des Hautes Vosges

 

8.  La vieille maison abandonnée  (Alphonse Lamartine)

 

Le mur est gris, la tuile est rousse,
L'hiver a rongé le ciment ;
Des pierres disjointes la mousse
Verdit l'humide fondement

 
La porte où file l'araignée,
Qui n'entend plus le doux accueil,
Reste immobile et dédaignée
Et ne tourne plus sur son seuil.

 
Les volets que le moineau souille
Détachés de leurs gonds de rouille,
Battent nuit et jour le granit,
Les vitraux brisés par les grêles
Livrent aux hirondelles
Un libre passage à leur nid !

 
De la solitaire demeure
Une ombre lourde d'heure en heure
Se détache sur le gazon :
Et cette ombre, couchée et morte,
Est la seule chose qui sorte
Tout le jour de cette maison !

 
A l'heure où la rosée s'évapore
Tous ces volets fermés s'ouvraient à sa chaleur,   
Pour y laisser entrer, avec la tiède aurore,
Les nocturnes parfums de nos vignes en fleur.

 
La mère de sa couche à ces doux bruits levée,
Sur ces fronts inégaux se penchait tour à tour,
Comme la poule heureuse assemble sa couvée,
Leur apprenant les mots qui bénissent le jour.

 
Moins de balbutiements sortent du nid sonore,
Quand au rayon d'été qui vient la réveiller,
L'hirondelle au plafond qui les abrite encore,
A ses petits sans plume apprend à gazouiller.

 
Et les bruits du foyer que l'aube fait renaître,
Montaient avec le jour, et dans les intervalles,
Des aboiements du chien qui voit sortir son maître
Les Claviers résonnaient dans le chant des cigales.  

(Cours familiers de littérature)

 

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